Colette Colomb et Bernard Pourrière en duo


Bernard Pourrière et Colette Colomb développent une collaboration depuis une quinzaine d’années. Ce sont d’incessants aller-retours entre le sonore et le graphique auxquels ils se sont dès lors livrés conjointement. Ainsi ont-ils multiplié des échanges sur des notions susceptibles de se révéler communes aux arts visuels et sonores, telles que point, ligne, texture, à-plat, profondeur, superposition.
La dimension temporelle donne en effet lieu à un vocabulaire dont ils partagent les termes, à travers des actions comme retarder, allonger, raccourcir, ralentir, accélérer, ainsi que des procédures de nature quantitative consistant à modifier, répéter, additionner, superposer, soustraire, multiplier, diviser, épurer.
Des modifications spatiales peuvent intervenir en parallèle, conduisant à traiter les phénomènes sonores en les soumettant à des effets d’écho et de réverbération…
Au départ, toutefois, il y a le contexte graphique, prétexte à produire du son. Il s’agit là d’une structure englobante, première étape de leur démarche, déclenchée par B. Pourrière, avant que soient trouvés des points d’ancrage entre le visuel et le sonore. Il convient de souligner que les interventions graphiques n’ont rien à voir, stricto sensu, avec les principes de la peinture abstraite. Elles sont toujours liées au son et font généralement suite aux discussions avec C. Colomb.
La deuxième étape vise à se fixer un protocole de jeu (déterminer un sens de lecture, une durée globale, un espace à investir). Ils travaillent tout d’abord chacun de leur côté, tout en tenant compte, au fur et à mesure, des intentions de l’autre, ce qui engendre des réajustements successifs.
Parmi les décisions à prendre ensemble figure le choix des instruments, avec l’ajout éventuel d’objets, la voix demeurant un élément central. Le corps est aussi une source privilégiée de production sonore, celle-ci étant éventuellement reliée à des capteurs Wii qui la transforme. En ce qui concerne les objets, volontiers manipulés ou détournés, cela peut être des câbles, des haut-parleurs, des tuyaux, des pupitres…
Au moment du jeu, B. Pourrière est souvent amené à récupérer ou reprendre à son compte les sons produits et éventuellement transformés par C. Colomb, les modifiant à son tour à l’aide de l’ordinateur. Pour lui, un des enjeux est de réaffirmer la présence du corps, en évitant de se laisser envahir par les séductions de la technologie. Ses réalisations antérieures témoignaient d’ailleurs déjà de telles confrontations, voire affrontements, entre le corps humain et la machine.
Pour elle, le choix de la partition est une première étape importante et exigeante. L'espace graphique se structure par des trames, des découpes, des repères, des signes, pour donner sens à la sonorité. Un patron sonore se dessine dès lors afin de laisser place à la composition.
À partir de la voix et de la matière, elle déforme et transgresse les schémas classiques de ce qu’il est convenu d’appeler une construction musicale. Commence dans ce cas une redistribution d'éléments musicaux. Des groupes de sons se plient aux exigences de la partition graphique et à une écoute détaillée, précise et épurée. De cette interaction émane un développement structurel, un langage rythmique, des sons sculptés dans l'espace, pour devenir en définitive un processus de composition spécifique. Ainsi le résultat compositionnel se présente-t-il comme multiple, selon les rencontres et les relations possibles entre les sons, les graphismes et l'instant présent.
Tous deux se complètent : C. Colomb s’attache au moindre signe graphique, tandis que B. Pourrière se concentre plutôt sur une conception d’ensemble. Une partie de libre improvisation et de spontanéité est malgré tout préservée au sein de la durée globale de chaque performance, qui peut varier entre 1’30 et 5’. Ce qui est important pour eux, c’est d’éprouver pleinement l’intensité du moment présent, vécu comme unique.
Des « partitions graphiques » peuvent se présenter, soit sous la forme d’images, soit d’installations dans un espace donné, elles-mêmes susceptibles d’intégrer de nouvelles partitions. Hormis les signes graphiques, B. Pourrière, qui écrit des textes depuis une dizaine d’années, introduit également dans celles-ci des mots très concrets, notamment en rapport avec le matériel acoustique dont il se sert, en jouant sur leur inscription dans l’espace de la feuille, ou encore sur la forme des lettres dont ils sont constitués. Dans certains cas, C. Colomb ajoute des signes en rouge, à la manière d’annotations, de repères visuels, qui se traduiront, pour elle, par des événements sonores.
B. Pourrière aime procéder par fragments, pratiquer le collage, les éléments choisis suscitant des phénomènes de transformation, de démultiplication. La répétition ou boucle est d’ailleurs un apport récurrent dans son processus de création. Les sons qu’il choisit sont fréquemment des éléments ratés, captés au cours de répétitions, qui connaissent ainsi une seconde vie. Signalons aussi qu’il a réuni depuis longtemps de vastes archives sonores (depuis des chants d’oiseaux réunis à partir des années 1990 jusqu’à des bruits corporels trouvés sur internet).
Une des conséquences des partitions peut être de provoquer des mouvements corporels, dans une chorégraphie en devenir. B. Pourrière parle alors d’ « activations gestuelles ». Performance et installation (avec l’adjonction éventuelle de la vidéo) se conjuguent pour ne plus forger qu’un unique événement scénique, même si le but n’est nullement de prétendre à un art total. Il serait préférable, dans ce cas, de parler d’une synergie de plusieurs moyens d’expression artistique qui s’émancipe de tout modèle et de toute dépendance à des principes de correspondance préétablis.
La stratégie adoptée par les deux artistes m’apparaît tout à fait singulière. Elle témoigne d’une démarche qui se situe bien au-delà de tout parallélisme entre les domaines du sonore et du visuel, défiant les divisions catégorielles qui ne cessent de peser sur, même encore aujourd’hui.

Jean-Yves Bosseur




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