Partitions actées de corps mal  connectés


Entre le  vivant et la technologie Bernard Pourrière dépose des corps et des instruments pas toujours musicaux. Entre art conceptuel et révolution numérique l’artiste pose des performances et des installations dont l’interactivité oblige le spectateur à trouver ses propres rythmes. Il déplace les repères spatio-temporels dans une nouvelle conception aléatoire de leurs rapports intriqués.

L’espace apparaît structuré par les corps qui l’occupent, « l’encombrent », en boucle. D’une image comme d’une série à l’autre, ou dans le flux vidéo s’enchainent gestes et postures. Ainsi le corps se trouve contraint par les rythmes qui l’entrainent issus  des partitions de l’auteur ou d’autres musiciens tandis que les notations chorégraphiques de Martine Pisani permettent à Bernard Pourrière de les rendre élastiques, pour mieux en faire les liens.

Dans d’autres séquences,  découpage et mixage se font sur l’arrière fond de
cris d'animaux,  de chants d'oiseaux ou de bruits d'êtres humains téléchargés sur internet puis retravaillés sur ordinateur. Le corps de l’artiste quant à lui doté de capteurs reliés à un programme informatique joue une partition au sol, écrite avec l'alphabet sémaphore, un saxophoniste répond à ces propositions sonores qui s’accélèrent et se transforment par les gestes du performeur qui deviennent de moins en moins précis.

Ailleurs le corps androgyne de la danseuse japonaise Keiko Takayama fait lien avec le double rail technique d’une filature. Reproduisant les gestes professionnels des fileuses elle chorégraphie le métier à tisser. On peut rapprocher cette vidéo de celles réalisées in situ dans les pays asiatiques pour les séances collectives de gymnastique n plin air.

Ce faisant il serait tentant de relier l’ensemble de ces pratiques à l’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud.  On retrouve ces relations interhumaines dans “random walks” vidéo de 2017 performance réalisée lors d'une résidence à Hanoi au Vietnam, ville où danse et gymnastique  éclairent le quotidien. On a reproché à cette  théorie de trop envisager la relation sous un angle consensuel. Bernard Pourrière dans la mise en œuvres d’éléments antagonistes organise plutôt les relations selon ce que Jacques Rancière évoque comme des dissensus, ceux ci engagent la scansion des rythmes. D’autres oppositions fonctionnent dans ces œuvres «  mouvement/immobilité, vitesse/épuisement, son/silence, attente/action ».


Depuis David Freedberg à la fin des années 1990 on a questionné le pouvoir des images. L’historien d’art Horst Bredekamp dans sa Théorie de l’acte d’image (La Découverte, 2015) s’inspire des actes de langage (speech acts), notion élaborée par John L. Austin et John R. Searle. Sous l’appellation d’acte d’image, il réunit les  catégories des actes iconoclastes, celles du spectacle vivant et les images par empreinte (dont la photographie). Bernard Pourrière réactive à sa façon ces trois types d’actes d’images qui deviennent partitions à performer.


Il nous rappelle que le corps est le plus imparfait des instruments, il doit être complété augmenté, il ne fait pas  le poids, il  doit sauter, se contorsionner  pour être à la hauteur des dispositifs enregistreurs. Au delà des possibles courts-circuits les appareils lui donnent un horizon où se confronter. Parfois, cependant, malgré l’usure physique de ces mouvements figuraux, à force d’exercices, le corps réussit à faire chorus, il régule son action jusqu’à inventer sa propre mélodie.

Christian Gattinoni
Membre de l’AICA, rédacteur en chef de la revue en ligne www.lacritique.org







Retour