Nous sommes rentrés, depuis près d’une vingtaine d’années, dans une nouvelle ère sonore. À condition d’être modestement équipé, nous pouvons générer des sons, augmenter ou réduire leurs durées, changer la hauteur, les inverser, modifier leurs enveloppes, les couper, les monter, les mixer, les manipuler en direct, etc. Toutes opérations qui nécessitaient, auparavant, le recours à des studios complexes et à des ingénieurs qualifiés. Le copier-coller que l’on trouve sur nos logiciels de traitement de texte est devenu un processus majeur de la création, qu’elle soit musicale, vidéographique ou textuelle. Appropriation et détournement sont devenus des pratiques créatrices comme l’ont si bien démontré Craig Dworkin et Kenneth Goldsmith dans leur anthologie Against Expression[1]. Non seulement nous pouvons rentrer dans le son, mais nous passer également de la lutherie traditionnelle et user aussi bien des sons que du bruit et réaliser le rêve de Cage de composer les sons plutôt que de composer avec les sons. Le compositeur devient interprète ou, plutôt, se passe de l’interprète… et de la partition. Ce que fait Bernard Pourrière avec délice dans ses Essais, séquences sonores texturées procédant d’une hybridation permanente de sources hétérogènes.
Par « manipuler le son », il faut l’entendre littéralement. Bernard Pourrière manipule le son lors de performances comme lorsqu’il use de manettes Wii™ pour modifier la hauteur, la vitesse ou la fréquence d’une pièce de John Cage (Musique pour carillon n° 2) ou en mimant avec Colette Colomb un jeu de balle (La Partie 2, 2017) qui devient une pièce percussive pour pied de micro, pupitre et tabouret. Le corps règle le son autant qu’il le dérègle, est autant instrument qu’interprète. La performance au sens anglo-saxon du terme (représentation, interprétation) produit l’œuvre, devient l’œuvre du corps-son, corpus sonore.
Il arrive que Bernard Pourrière utilise des partitions, mais en les détournant de leur fonction et valeur première — transcription et notation d’une œuvre musicale. La partition est, chez lui, un objet graphique — pardon, plastique —, qui a une valeur intrinsèque et qui n’est pas forcément lisible. Inscrite comme une peinture murale (Partition 5, 2017), support possible d’un son autant qu’élément pouvant nous permettre de l’imaginer, de le générer, de… l’interpréter. La partition peut être une suite de mots, des traits, un marquage au sol (Extension, 2016), une suite de photographies ou… un corps. Le propre corps de l’artiste exécute des gestes qui sont à la fois performance, chorégraphie, mais partitions comme dans MétrOpera (2016), vidéo dans laquelle on le voit rentrer dans le champ, s’assoir, se lever, repartir, lever les bras, les descendre, piétiner, faire osciller ses épaules, etc. où l’image est doublée, triplée, alignée, superposée, déphasée comme les différentes mesures d’une partition d’orchestre.
Performances, installations, vidéos, dessins… tous ces médiums sont indexés au son mais démultiplient, diffractent celui-ci en une multitude d’incarnations qu’il nous revient à nous, spectateurs de réunir en un corpus au sens latin du terme.