Portraits de l’artiste-orchestre



Au fil de variations chromatiques, développées depuis une palette précise (noir, gris, ivoire, blanc, jaune, bleu), et d’un tracé graphique qui réinvente le dessin dans l’espace, l’œuvre de Bernard Pourrière explore le son, la performance et la vidéo. Ainsi, dans le champ des arts sonores en particulier, l’artiste a régulièrement modelé comme un volume la plasticité des instruments de musiques ou des éléments acoustiques (cymbales, enceintes, câbles électriques, casques ou micros). Sculpturales, les formes de cet instrumentarium, potentiellement mobiles voire burlesques dans leurs situations incongrues, font du corps et de son chahut virtuel un espace d’expérimentation, sonore, graphique ou performé. Autant de volumes de la banalité sonore qui se mettent possiblement en mouvement dans une chorégraphie, inédite, absurde et aléatoire, constamment modulable.
Précisément, en 2018, le catalogue Partitions élastiques de Bernard Pourrière était programmatique d’un tel projet qu’il constatait. Toujours inscrit dans une recherche entre protocoles de performances et descriptions minimales des gestes, l’artiste, devenu le « chef d’orchestre catalyseur d’un événement », y inventoriait ses consignes artistiques. Or, ce mode d’emploi oriente, également, l’approche de Bernard Pourrière développée en 2024, dans l’exposition Tintamarre, proposée par la Galerie le 116art.
Sauf que, dans Tintamarre, ce n’est pas Bernard Pourrière qui crée la partition à interpréter, mais le poète Éric Houser qui, ayant visionné deux vidéos de l’artiste (Répétition 1, 2023 et La Partie 2, 2017), a écrit un texte qui sera le support, visuel et sonore, de la performance que la musicienne Colette Colomb et l’artiste joueront lors du vernissage.
Dès lors, les créations de Bernard Pourrière et leurs variations peuvent être, plus généralement, approchées selon trois modalités esthétiques. La partition graphique et expérimentale, d’abord, dans la lignée du compositeur britannique Cornelius Cardew qui, dans une volonté (politique) de remise en cause de la notation musicale, veilla à en libérer l’interprète en lui déléguant un vaste champ de possibilités d’interventions. Le burlesque ensuite, car les situations inventées par Bernard Pourrière sont, d’un point de vue gestuel, décalées, et souvent drôles voire irrésistibles. Enfin, une stylistique de la banalité, de l’objet (en l’occurrence musical ou sonore) anodin et finalement fragile, fait participer ces créations d’une poétique du soin, de l’attention et de la réparation, du care… Une formidable humanité irradie, en effet, l’ensemble des propositions de Bernard Pourrière.
En 2024, dans l’exposition Tintamarre, poétiques et textuelles, sonores ou technologiques (sous forme de QR Code), ces partitions et leur protocole, à l’initiative d’Eric Houser donc, seront interprétés, le jour du vernissage, puis joués ultérieurement en distanciel (citation de notre traversée de la période COVID). Dès lors, appréciant le travail collectif et participatif qu’il organise en groupe dans ses œuvres (près de vingt artistes, poètes ou musiciens ont été associés à son travail au fil du temps), Bernard Pourrière se révèle, dans Tintamarre, comme un chef d’orchestre qui délègue son geste. Work in progress, improvisées, performées, les contraintes de l’exposition Tintamarre y apparaîtront, alors, comme autant de combinatoires et de permutations, d’interférences et de juxtapositions, de hasards et de possibilités.

Alexandre Castant, 23 novembre 2023
Alexandre Castant est essayiste, critique d’art, écrivain



Retour